Depuis pas mal d’années, l’ensemble des évolutions technologiques : la vidéo à la demande, le paiement sans contact, le télétravail, les achats par Internet, les réseaux sociaux…, ont eu pour principale conséquence (pour principal objectif ?) de diminuer les contacts matériels, et surtout humains.
C’est l’avènement du fameux capitalisme numérique cher à Daniel Cohen. L’épidémie de coronavirus offre une magnifique « raison d’être » à cette tendance lourde : une certaine obsolescence qui semble frapper les relations humaines à laquelle pourtant nous ne voulons, ne pouvons, nous résigner. La virtualisation de la mort en est une autre. Toutes ces tendances existaient déjà avant le coronavirus ; elles n’ont fait que se manifester avec une évidence nouvelle. « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire. »
Ces lignes sont extraites du dernier entretien accordé par Michel Houellebecq.
En fait, à travers ces mots, il ne fait que confirmer une des rares visions justes et pourtant peu entendues des deux dernières décennies. Ils sont au moins trois dans des registres différents, souvent loin des plateaux médiatiques, à avoir voulu être des éclaireurs et bien souvent nous n’avons pas voulu les entendre. Je vais les appeler les trois mousquetaires : Michel Houellebecq donc, notre romancier le plus visionnaire, notre meilleur sociologue sans doute ; Christophe Guilluy, géographe et chantre de la France périphérique ; et Marc Touati, l’économiste issu des banlieues que nos décideurs n’ont jamais cru bon d’écouter suffisamment pour réduire notre pression fiscale sans renoncer à nos services publics. Les trois mousquetaires d’un humanisme souterrain, inspirateur d’une nouvelle raison d’être.
Michel Houellebecq
Michel Houellebecq nous épargne les impostures du nouveau roman sans pour autant revenir à une littérature conventionnelle. Ses personnages tiennent la route. Leurs itinéraires dans des aventures spirituelles, historiques, politiques ou amoureuses séduisent, instruisent, intéressent le lecteur parce qu’elles traduisent des expériences humaines fondamentales et lui apportent cette compréhension du monde que seule la littérature et les arts peuvent offrir. Mais il y a sans doute plus. L’humanité de l’homme qui le préoccupe et qu’il s’attache à explorer jusque dans ses recoins les plus secrets, voire les plus inavouables, relève d’un nouvel humanisme, un humanisme qui n’est plus celui des Lumières, des droits et de la raison. Ils s’intéressent d’évidence aux dimensions extrarationnelles de l’humain. Il nous parle de l’amour, du sexe ou de la vieillesse, avec une perspicacité, une lucidité, une crudité, voire une cruauté qui eussent été sans doute impossibles tant que les aventures de l’art moderne au XXe siècle n’avaient pas émancipé ces dimensions souterraines de l’être humain que Nietzsche ou Dostoïevski entendaient déjà faire sortir du néant. Ce fut là sans doute, la principale vertu de l’histoire des avant-gardes. Cela a permis d’ouvrir une nouvelle voie pour permettre d’offrir des œuvres nouvelles en libérant les dimensions affectives, inconscientes, absurdes ou violentes, mais aussi émouvantes et au sens propres aimables, de cette humanité que le premier humanisme, celui des Lumières, n’envisageait encore que sous un prisme très raisonnable. Nous vivons une révolution dans l’ordre du sacré au sens sacrificiel du terme et non au sens religieux. C’est-à-dire : ce qui nous fait sortir de nous-mêmes pour aller vers l’autre. Cette question est au cœur des interrogations que porte la crise sanitaire. Nous vivons la sacralisation de l’humain et du souci des générations futures. Cette problématique est totalement nouvelle à l’échelle de l’humanité et constitue un nouvel humanisme qui n’est plus celui des lumières ni celui du colonialisme. Le mariage choisi a par exemple fait naître un amour des enfants qui est sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
Quel monde allons-nous laisser à ceux qui viennent, à nos jeunes, à ceux que nous aimons le plus ? Contrairement à ce que peuvent prétendre les libéraux, comme les marxistes, cette question ne relève pas de la vie privée, ou du moins pas seulement d’elle. La question des générations futures et du monde que nous laissons à ceux que nous aimons et qui sont pour ainsi dire sacralisés dans la famille moderne n’est pas une question seulement individuelle.
C’est la question de l’écologie, du sanitaire bien sûr, mais aussi de la dette publique, de l’avenir de la protection sociale dans le choc de la mondialisation, du choc des civilisations, du modèle social et du vivre-ensemble… Toutes les grandes questions politiques vont se réorganiser autour d’une problématique nouvelle, non plus autour de la question de la nation, ni de la révolution, comme par le passé, mais autour de celles des générations futures. N’est-ce pas une des grandes confirmations de la crise sanitaire ?
Christophe Guilluy
Christophe Guilluy avait vu venir les gilets jaunes. En effet, la « France périphérique », que le géographe a conceptualisée et dont il montre, dans « No Society », qu’elle est l’oubliée de la nouvelle mondialisation et des politiques qui l’ont accompagnée, est aussi celle qui s’est soulevée, sur les routes et les ronds-points, contre son déclassement. Mondialisation malheureuse, crise des classes moyennes, réaction populiste : ce spectre hante tout l’Occident. On le perçoit avec davantage d’acuité encore aujourd’hui, parce que la crise sociale va suivre la crise sanitaire avec plus d’ampleur que jamais.
« There is no society » : la société, ça n’existe pas. C’est en octobre 1987 que Margaret Thatcher prononce ces mots. Depuis, son message a été entendu par l’ensemble des classes dominantes occidentales. Il a pour conséquence la grande sécession du monde d’en haut qui, en abandonnant le bien commun, plonge les pays occidentaux dans le chaos de la société relative, mais qui nous explose à la figure aujourd’hui. La rupture du lien, y compris conflictuel, entre le haut et le bas, nous fait basculer dans l’a-société. Désormais, no more society. La crise de la représentation politique, l’atomisation des mouvements sociaux, la citadellisation des bourgeoisies, le marronnage des classes populaires et la communautarisation sont autant de signes de l’épuisement d’un modèle qui ne fait plus société. La vague populiste qui traverse le monde occidental n’est que la partie visible d’un soft power des classes populaires qui contraindra le monde d’en haut à rejoindre le mouvement réel de la société ou bien à disparaître.
L’enjeu des années à venir sera de penser sur le plan local des modèles économiques alternatifs pour la France périphérique. Elle doit se placer dans une logique d’affrontement politique afin de proposer un contre-modèle. Ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu’il faille interdire les métropoles. Une nouvelle carte politique est déjà en train de se structurer autour de cette fracture entre France métropolitaine et France périphérique, selon la logique ouverture/fermeture ou libertés/protections. Cette fracture commence à se retrouver au cœur des partis politiques et ne relève déjà plus du débat gauche/droite. La place prise par les Présidents de Régions et les Maires au cours de la crise sanitaire peuvent être le prélude à une prise de conscience ou un simple chant agonisant. A nous d’en décider.
Marc Touati
Économiste français reconnu et indépendant, Marc Touati a écrit de nombreux ouvrages pour alerter, pour montrer les basculements qui s’opèrent, l’absence de courage et de choix qui sont de plus en plus visibles pour chacun. Où est passé l’argent public ? Celui de l’hôpital en particulier ? Quel avenir quant à notre consentement à l’impôt ?
La crise sanitaire remet enfin l’économie réelle en lumière en lieu et place de la financiarisation de l’économie qui nous menace sans qu’on veuille le voir.
Plus que jamais, et la crise peut être une opportunité à cet égard, il est donc impératif de dénoncer l’aveuglement collectif ambiant et d’alerter le grand public : oui, nous vivons malheureusement dans un « monde de bulles ». Il ne faut pas forcément en avoir peur, mais le comprendre et le diffuser, pour ne plus être des « dindons de la farce ». Sachons donc éviter les pièges, ce qui nous permettra de sortir par le haut des crises passées, actuelles et à venir. Qu’est-ce qu’une bulle ? Souvent galvaudé et/ou employé à mauvais escient, le terme « bulle » signifie simplement qu’il existe un écart cumulatif et autoentretenu entre la valeur financière d’un actif et sa valeur réelle. Ainsi, une augmentation du prix d’un bien, d’une action, d’une obligation ou d’une matière première n’est pas inquiétante si et seulement si elle est à l’aune de la valeur réelle de l’actif en question. Tout le problème est évidemment de connaître cette dernière.
Et aujourd’hui, force est de constater que connaître la valeur d’une chose est devenu difficile. Quelle valeur accorder à un bien ? Quel prix est équitable ? Quel salaire est juste ? La crise vient nous interroger dans tous nos repères. Comment y répondre ?
La sincérité et La raison d’être
La sincérité est sans aucun doute la condition indispensable à une réponse éclairée, pour qu’un nouvel humanisme existe autour d’une confiance retrouvée. Cette sincérité est une alchimie curieuse et précieuse. Elle doit être spontanée, réelle, profonde, procurer du plaisir. Pour reprendre une phrase de Picasso, elle doit être celle de l’enfant, elle doit être la quête de celui qui va « passer sa vie à retrouver l’enfant qui est en lui. » Comment accepter l’enfant qui est en nous et qui questionne ?
Au-delà de la sincérité du dirigeant qui ne peut s’ancrer que dans la durée et dans l’exemplarité, le cadre collectif, le cadre juridique peut aussi aider à poser cette sincérité, cette ambition, ce projet de voyage collectif. C’est ainsi que de nombreuses initiatives existent dans notre pays, et plus encore dans le monde, pour favoriser l’émergence de cette conviction, pour la transformer en action, pour montrer le dépassement de l’entité à la fois en direction d’un intérêt collectif qui la transcende et d’une attention individuelle réelle et sincère qui l’habite. On peut bien sûr penser aux organisations publiques qui ont déjà cette vocation, mais ne sont pour autant pas exonérées de se réinventer. Il est de même pour les associations à but non lucratif, ou aux sociétés coopératives qui sont bien souvent dans l’obligation de recréer un lien qui pourtant devrait figurer dans leur ADN.
L’ESS, l’Économie Sociale et Solidaire, investit un champ de plus en plus large pour répondre à des enjeux de la société. Mais même cet univers n’est pas exonéré de progrès en matière de démarche plus humaniste. Pour tous, la RSE, la Responsabilité Sociale des Entreprises, est désormais un moyen de s’engager de manière forte et sincère, avec des tiers certificateurs garantissant cet engagement. Cette intégration volontaire, par les entreprises et plus largement par les organisations, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes, constitue une réelle avancée. Elle peut témoigner d’un engagement sincère de l’organisation.
Pour autant, cela ne semble pas encore suffisant en termes de cadre au service de cette ambition, de cette volonté réelle et sincère du dirigeant, de l’organisation. C’est ainsi qu’en France, à l’occasion de la préparation de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), Nicole Notat & Jean-Dominique Senard ont produit un rapport relatif à : « L’entreprise, objet d’intérêt collectif ». Jean-Dominique Senard – alors Président du groupe Michelin – et Nicole Notat – ancienne secrétaire générale de la CFDT et présidente de Vigeo-Eiris – ont ainsi conduit une mission sur la relation entre entreprise et intérêt général. Leur rapport, remis le 9 mars 2018, qui avait vocation à être pris en compte dans l’élaboration de la loi PACTE, présente un intérêt certain pour asseoir la légitimité, l’authenticité, la sincérité indispensables à l’émergence d’un nouvel humaniste.
La loi PACTE a été promulguée le 22 mai 2019. Un an après, nous pourrions transposer cette loi à la société dans son entièreté pour aller vers une « harmocratie ».
L’harmocratie :
Le monde des organisations a connu l’ordre, la discipline, la régulation par le règlement et la sanction. C’était un temps où il suffisait d’être chef, un temps où la force était l’atout. L’indicateur était le « labeur ajouté ». Avec les écoles de relations humaines et les mouvements qualité, motivation et satisfaction ont fait leur entrée. Le process remplace la consigne, le collaborateur et le client apparaissent ! La puissance intellectuelle est l’atout et l’indicateur est la valeur ajoutée. Aujourd’hui, savoir et savoir-faire sont à portée de doigts, l’intelligence artificielle débarque, la différence se fait désormais sur les savoir-être. Après le corps et le cerveau, le cœur. La qualité de vie devient l’atout et l’indicateur est la « saveur ajoutée ». Cela vaut pour l’entreprise comme pour les États.
Le savoir-être est un savoir-faire relationnel, c’est-à-dire une aptitude (disposition psychologique) et/ou un comportement (conduite appropriée à une situation, un contexte, une personne). Le savoir-être, personnel ou collectif, couvre le champ immense de la relation avec soi et avec les autres : respect, confiance, empathie, intégrité, émotions, coopération, résolution de conflit, communication, gestion du stress, écoute active, éthique, optimisme… sans parler de l’esprit de service… Les soft skills deviennent indispensables, elles structurent notre rapport au travail, à la société. Ne sont-elles pas plus que jamais à l’honneur aujourd’hui ?
Désormais, nous pourrions ambitionner d’adopter une certaine philosophie de gouvernance pour développer l’intelligence collective et la créativité, en favorisant le bien-être des individus. Le dirigeant doit devenir un leader, charismatique, visionnaire et enthousiaste, pour fédérer l’ensemble des énergies autour du projet commun. Les dirigeants vont devenir des compositeurs, gardiens de la cohésion, philosophes des temps modernes, médiateurs, pour manager les comportements plutôt que de les contrôler. Cela s’appelle l’harmocratie.
L’harmocratie (du grec harmonie, cohésion, collaboration, et du suffixe cratie, pouvoir) signifie littéralement « le pouvoir de l’harmonie ». L’harmocratie est une solution pour toutes les organisations qui veulent davantage d’agilité, de créativité, de bien-être et d’anticipation productive. L’harmocratie permet de construire un cadre de travail favorisant la disparition des tensions sociales et des pensées parasites, la mutation des egos en « sumus » (1) par l’autovalorisation, la construction d’une organisation intuitive et la banalisation du changement.
Nous entendons aujourd’hui que l’organisation idéale est une organisation qui rend l’être humain heureux en donnant à chaque personne sa place selon ses aptitudes et son potentiel. Cette pensée est cependant incomplète puisqu’elle ne prend pas en compte les appétences et les aversions des personnes pour leurs propres aptitudes et leur propre potentiel. De plus, nous nous focalisons sur le bien-être des gens (qui est évidemment une finalité à atteindre) en oubliant les conséquences de nos actions sur le bien-être du collectif. On voit aujourd’hui que c’est pourtant essentiel. L’acceptation de l’interdépendance constitue en effet une dimension essentielle de ce nouveau paradigme.
L’harmocratie se caractérise par cette prise en compte de cette complexité humaine, se reposant sur le fait que chaque individu est bon, ses principes transcendent les egos et les potentiels de chacun pour le bien-être des individus et pour le bien-être du collectif. C’est à cette condition que l’organisation devient intuitive et éclairée.
L’harmocratie est une philosophie de gouvernance intégrale, innovante, combinant et transcendant les approches issues du biomimétisme, de l’intelligence collective, de la facilitation et du neurocognitivisme construit autour de sept principes : Cette approche qu’il ne m’appartient pas de développer ici, n’est qu’une ouverture qui appelle à creuser davantage. L’harmocratie et plus largement le nouvel humaniste n’a de sens, de substance, que s’il est appuyé sur la sincérité, ancré dans la sincérité.
Pour finir cette chronique avec l’optimisme de la volonté, écoutons Churchill : « Tout le monde savait que c’était impossible à faire ; Puis un jour est venu un homme qui ne le savait pas. Et il l’a fait. »...
S : Sens de S en SUMUS. S est un simple brin qui va vers l’avant et vers l’arrière. Il montre une volonté d’explorer. Les extrémités pointées vers l’avant et vers l’arrière montrent une nature contradictoire avec elle-même et un degré de perplexité.
U : Sens de U en SUMUS. Lettre U montre des regards inversés comme la lettre N en minuscule. Ses extrémités projettent vers le haut pour indiquer la créativité, l’idéalisme, le talent et le céleste. Il est réceptif aux choses qui tombent dans sa demeure. Il est bienveillant et compatissant aux personnes qui éprouvent des échecs ou tragédie.
M : Sens de M en SUMUS. Alors que M se trouve sur deux points, il a trois projections pointant vers le bas. M est gracieux, stable et capricieux. M pourrait également être écrasant avec une grande force de caractère et une force d’esprit.
C’est l’avènement du fameux capitalisme numérique cher à Daniel Cohen. L’épidémie de coronavirus offre une magnifique « raison d’être » à cette tendance lourde : une certaine obsolescence qui semble frapper les relations humaines à laquelle pourtant nous ne voulons, ne pouvons, nous résigner. La virtualisation de la mort en est une autre. Toutes ces tendances existaient déjà avant le coronavirus ; elles n’ont fait que se manifester avec une évidence nouvelle. « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire. »
Ces lignes sont extraites du dernier entretien accordé par Michel Houellebecq.
En fait, à travers ces mots, il ne fait que confirmer une des rares visions justes et pourtant peu entendues des deux dernières décennies. Ils sont au moins trois dans des registres différents, souvent loin des plateaux médiatiques, à avoir voulu être des éclaireurs et bien souvent nous n’avons pas voulu les entendre. Je vais les appeler les trois mousquetaires : Michel Houellebecq donc, notre romancier le plus visionnaire, notre meilleur sociologue sans doute ; Christophe Guilluy, géographe et chantre de la France périphérique ; et Marc Touati, l’économiste issu des banlieues que nos décideurs n’ont jamais cru bon d’écouter suffisamment pour réduire notre pression fiscale sans renoncer à nos services publics. Les trois mousquetaires d’un humanisme souterrain, inspirateur d’une nouvelle raison d’être.
Michel Houellebecq
Michel Houellebecq nous épargne les impostures du nouveau roman sans pour autant revenir à une littérature conventionnelle. Ses personnages tiennent la route. Leurs itinéraires dans des aventures spirituelles, historiques, politiques ou amoureuses séduisent, instruisent, intéressent le lecteur parce qu’elles traduisent des expériences humaines fondamentales et lui apportent cette compréhension du monde que seule la littérature et les arts peuvent offrir. Mais il y a sans doute plus. L’humanité de l’homme qui le préoccupe et qu’il s’attache à explorer jusque dans ses recoins les plus secrets, voire les plus inavouables, relève d’un nouvel humanisme, un humanisme qui n’est plus celui des Lumières, des droits et de la raison. Ils s’intéressent d’évidence aux dimensions extrarationnelles de l’humain. Il nous parle de l’amour, du sexe ou de la vieillesse, avec une perspicacité, une lucidité, une crudité, voire une cruauté qui eussent été sans doute impossibles tant que les aventures de l’art moderne au XXe siècle n’avaient pas émancipé ces dimensions souterraines de l’être humain que Nietzsche ou Dostoïevski entendaient déjà faire sortir du néant. Ce fut là sans doute, la principale vertu de l’histoire des avant-gardes. Cela a permis d’ouvrir une nouvelle voie pour permettre d’offrir des œuvres nouvelles en libérant les dimensions affectives, inconscientes, absurdes ou violentes, mais aussi émouvantes et au sens propres aimables, de cette humanité que le premier humanisme, celui des Lumières, n’envisageait encore que sous un prisme très raisonnable. Nous vivons une révolution dans l’ordre du sacré au sens sacrificiel du terme et non au sens religieux. C’est-à-dire : ce qui nous fait sortir de nous-mêmes pour aller vers l’autre. Cette question est au cœur des interrogations que porte la crise sanitaire. Nous vivons la sacralisation de l’humain et du souci des générations futures. Cette problématique est totalement nouvelle à l’échelle de l’humanité et constitue un nouvel humanisme qui n’est plus celui des lumières ni celui du colonialisme. Le mariage choisi a par exemple fait naître un amour des enfants qui est sans précédent dans l’histoire de l’humanité.
Quel monde allons-nous laisser à ceux qui viennent, à nos jeunes, à ceux que nous aimons le plus ? Contrairement à ce que peuvent prétendre les libéraux, comme les marxistes, cette question ne relève pas de la vie privée, ou du moins pas seulement d’elle. La question des générations futures et du monde que nous laissons à ceux que nous aimons et qui sont pour ainsi dire sacralisés dans la famille moderne n’est pas une question seulement individuelle.
C’est la question de l’écologie, du sanitaire bien sûr, mais aussi de la dette publique, de l’avenir de la protection sociale dans le choc de la mondialisation, du choc des civilisations, du modèle social et du vivre-ensemble… Toutes les grandes questions politiques vont se réorganiser autour d’une problématique nouvelle, non plus autour de la question de la nation, ni de la révolution, comme par le passé, mais autour de celles des générations futures. N’est-ce pas une des grandes confirmations de la crise sanitaire ?
Christophe Guilluy
Christophe Guilluy avait vu venir les gilets jaunes. En effet, la « France périphérique », que le géographe a conceptualisée et dont il montre, dans « No Society », qu’elle est l’oubliée de la nouvelle mondialisation et des politiques qui l’ont accompagnée, est aussi celle qui s’est soulevée, sur les routes et les ronds-points, contre son déclassement. Mondialisation malheureuse, crise des classes moyennes, réaction populiste : ce spectre hante tout l’Occident. On le perçoit avec davantage d’acuité encore aujourd’hui, parce que la crise sociale va suivre la crise sanitaire avec plus d’ampleur que jamais.
« There is no society » : la société, ça n’existe pas. C’est en octobre 1987 que Margaret Thatcher prononce ces mots. Depuis, son message a été entendu par l’ensemble des classes dominantes occidentales. Il a pour conséquence la grande sécession du monde d’en haut qui, en abandonnant le bien commun, plonge les pays occidentaux dans le chaos de la société relative, mais qui nous explose à la figure aujourd’hui. La rupture du lien, y compris conflictuel, entre le haut et le bas, nous fait basculer dans l’a-société. Désormais, no more society. La crise de la représentation politique, l’atomisation des mouvements sociaux, la citadellisation des bourgeoisies, le marronnage des classes populaires et la communautarisation sont autant de signes de l’épuisement d’un modèle qui ne fait plus société. La vague populiste qui traverse le monde occidental n’est que la partie visible d’un soft power des classes populaires qui contraindra le monde d’en haut à rejoindre le mouvement réel de la société ou bien à disparaître.
L’enjeu des années à venir sera de penser sur le plan local des modèles économiques alternatifs pour la France périphérique. Elle doit se placer dans une logique d’affrontement politique afin de proposer un contre-modèle. Ce qui ne veut pas dire, pour autant, qu’il faille interdire les métropoles. Une nouvelle carte politique est déjà en train de se structurer autour de cette fracture entre France métropolitaine et France périphérique, selon la logique ouverture/fermeture ou libertés/protections. Cette fracture commence à se retrouver au cœur des partis politiques et ne relève déjà plus du débat gauche/droite. La place prise par les Présidents de Régions et les Maires au cours de la crise sanitaire peuvent être le prélude à une prise de conscience ou un simple chant agonisant. A nous d’en décider.
Marc Touati
Économiste français reconnu et indépendant, Marc Touati a écrit de nombreux ouvrages pour alerter, pour montrer les basculements qui s’opèrent, l’absence de courage et de choix qui sont de plus en plus visibles pour chacun. Où est passé l’argent public ? Celui de l’hôpital en particulier ? Quel avenir quant à notre consentement à l’impôt ?
La crise sanitaire remet enfin l’économie réelle en lumière en lieu et place de la financiarisation de l’économie qui nous menace sans qu’on veuille le voir.
Plus que jamais, et la crise peut être une opportunité à cet égard, il est donc impératif de dénoncer l’aveuglement collectif ambiant et d’alerter le grand public : oui, nous vivons malheureusement dans un « monde de bulles ». Il ne faut pas forcément en avoir peur, mais le comprendre et le diffuser, pour ne plus être des « dindons de la farce ». Sachons donc éviter les pièges, ce qui nous permettra de sortir par le haut des crises passées, actuelles et à venir. Qu’est-ce qu’une bulle ? Souvent galvaudé et/ou employé à mauvais escient, le terme « bulle » signifie simplement qu’il existe un écart cumulatif et autoentretenu entre la valeur financière d’un actif et sa valeur réelle. Ainsi, une augmentation du prix d’un bien, d’une action, d’une obligation ou d’une matière première n’est pas inquiétante si et seulement si elle est à l’aune de la valeur réelle de l’actif en question. Tout le problème est évidemment de connaître cette dernière.
Et aujourd’hui, force est de constater que connaître la valeur d’une chose est devenu difficile. Quelle valeur accorder à un bien ? Quel prix est équitable ? Quel salaire est juste ? La crise vient nous interroger dans tous nos repères. Comment y répondre ?
La sincérité et La raison d’être
La sincérité est sans aucun doute la condition indispensable à une réponse éclairée, pour qu’un nouvel humanisme existe autour d’une confiance retrouvée. Cette sincérité est une alchimie curieuse et précieuse. Elle doit être spontanée, réelle, profonde, procurer du plaisir. Pour reprendre une phrase de Picasso, elle doit être celle de l’enfant, elle doit être la quête de celui qui va « passer sa vie à retrouver l’enfant qui est en lui. » Comment accepter l’enfant qui est en nous et qui questionne ?
Au-delà de la sincérité du dirigeant qui ne peut s’ancrer que dans la durée et dans l’exemplarité, le cadre collectif, le cadre juridique peut aussi aider à poser cette sincérité, cette ambition, ce projet de voyage collectif. C’est ainsi que de nombreuses initiatives existent dans notre pays, et plus encore dans le monde, pour favoriser l’émergence de cette conviction, pour la transformer en action, pour montrer le dépassement de l’entité à la fois en direction d’un intérêt collectif qui la transcende et d’une attention individuelle réelle et sincère qui l’habite. On peut bien sûr penser aux organisations publiques qui ont déjà cette vocation, mais ne sont pour autant pas exonérées de se réinventer. Il est de même pour les associations à but non lucratif, ou aux sociétés coopératives qui sont bien souvent dans l’obligation de recréer un lien qui pourtant devrait figurer dans leur ADN.
L’ESS, l’Économie Sociale et Solidaire, investit un champ de plus en plus large pour répondre à des enjeux de la société. Mais même cet univers n’est pas exonéré de progrès en matière de démarche plus humaniste. Pour tous, la RSE, la Responsabilité Sociale des Entreprises, est désormais un moyen de s’engager de manière forte et sincère, avec des tiers certificateurs garantissant cet engagement. Cette intégration volontaire, par les entreprises et plus largement par les organisations, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes, constitue une réelle avancée. Elle peut témoigner d’un engagement sincère de l’organisation.
Pour autant, cela ne semble pas encore suffisant en termes de cadre au service de cette ambition, de cette volonté réelle et sincère du dirigeant, de l’organisation. C’est ainsi qu’en France, à l’occasion de la préparation de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), Nicole Notat & Jean-Dominique Senard ont produit un rapport relatif à : « L’entreprise, objet d’intérêt collectif ». Jean-Dominique Senard – alors Président du groupe Michelin – et Nicole Notat – ancienne secrétaire générale de la CFDT et présidente de Vigeo-Eiris – ont ainsi conduit une mission sur la relation entre entreprise et intérêt général. Leur rapport, remis le 9 mars 2018, qui avait vocation à être pris en compte dans l’élaboration de la loi PACTE, présente un intérêt certain pour asseoir la légitimité, l’authenticité, la sincérité indispensables à l’émergence d’un nouvel humaniste.
La loi PACTE a été promulguée le 22 mai 2019. Un an après, nous pourrions transposer cette loi à la société dans son entièreté pour aller vers une « harmocratie ».
L’harmocratie :
Le monde des organisations a connu l’ordre, la discipline, la régulation par le règlement et la sanction. C’était un temps où il suffisait d’être chef, un temps où la force était l’atout. L’indicateur était le « labeur ajouté ». Avec les écoles de relations humaines et les mouvements qualité, motivation et satisfaction ont fait leur entrée. Le process remplace la consigne, le collaborateur et le client apparaissent ! La puissance intellectuelle est l’atout et l’indicateur est la valeur ajoutée. Aujourd’hui, savoir et savoir-faire sont à portée de doigts, l’intelligence artificielle débarque, la différence se fait désormais sur les savoir-être. Après le corps et le cerveau, le cœur. La qualité de vie devient l’atout et l’indicateur est la « saveur ajoutée ». Cela vaut pour l’entreprise comme pour les États.
Le savoir-être est un savoir-faire relationnel, c’est-à-dire une aptitude (disposition psychologique) et/ou un comportement (conduite appropriée à une situation, un contexte, une personne). Le savoir-être, personnel ou collectif, couvre le champ immense de la relation avec soi et avec les autres : respect, confiance, empathie, intégrité, émotions, coopération, résolution de conflit, communication, gestion du stress, écoute active, éthique, optimisme… sans parler de l’esprit de service… Les soft skills deviennent indispensables, elles structurent notre rapport au travail, à la société. Ne sont-elles pas plus que jamais à l’honneur aujourd’hui ?
Désormais, nous pourrions ambitionner d’adopter une certaine philosophie de gouvernance pour développer l’intelligence collective et la créativité, en favorisant le bien-être des individus. Le dirigeant doit devenir un leader, charismatique, visionnaire et enthousiaste, pour fédérer l’ensemble des énergies autour du projet commun. Les dirigeants vont devenir des compositeurs, gardiens de la cohésion, philosophes des temps modernes, médiateurs, pour manager les comportements plutôt que de les contrôler. Cela s’appelle l’harmocratie.
L’harmocratie (du grec harmonie, cohésion, collaboration, et du suffixe cratie, pouvoir) signifie littéralement « le pouvoir de l’harmonie ». L’harmocratie est une solution pour toutes les organisations qui veulent davantage d’agilité, de créativité, de bien-être et d’anticipation productive. L’harmocratie permet de construire un cadre de travail favorisant la disparition des tensions sociales et des pensées parasites, la mutation des egos en « sumus » (1) par l’autovalorisation, la construction d’une organisation intuitive et la banalisation du changement.
Nous entendons aujourd’hui que l’organisation idéale est une organisation qui rend l’être humain heureux en donnant à chaque personne sa place selon ses aptitudes et son potentiel. Cette pensée est cependant incomplète puisqu’elle ne prend pas en compte les appétences et les aversions des personnes pour leurs propres aptitudes et leur propre potentiel. De plus, nous nous focalisons sur le bien-être des gens (qui est évidemment une finalité à atteindre) en oubliant les conséquences de nos actions sur le bien-être du collectif. On voit aujourd’hui que c’est pourtant essentiel. L’acceptation de l’interdépendance constitue en effet une dimension essentielle de ce nouveau paradigme.
L’harmocratie se caractérise par cette prise en compte de cette complexité humaine, se reposant sur le fait que chaque individu est bon, ses principes transcendent les egos et les potentiels de chacun pour le bien-être des individus et pour le bien-être du collectif. C’est à cette condition que l’organisation devient intuitive et éclairée.
L’harmocratie est une philosophie de gouvernance intégrale, innovante, combinant et transcendant les approches issues du biomimétisme, de l’intelligence collective, de la facilitation et du neurocognitivisme construit autour de sept principes :
- Expérimenter la confiance,
- Libérer les pensées parasites,
- Développer les appétences collaboratives,
- Auto-valoriser les équipes,
- Faciliter la créativité,
- Construire une organisation intuitive,
- Promouvoir l’harmonisation continue.
Pour finir cette chronique avec l’optimisme de la volonté, écoutons Churchill : « Tout le monde savait que c’était impossible à faire ; Puis un jour est venu un homme qui ne le savait pas. Et il l’a fait. »...
1.La définition de l’harmocratie fait référence au « SUMUS » de l’organisation. Qu’est-ce que cela ? Une intelligence organique nourrie de l’intelligence collective et collaborative nous dit encore cette définition.
SUMUS, c’est d’abord en latin la première personne du pluriel du verbe SUM, littéralement : « nous sommes ». On peut aussi voir un sens de SUMUS, acronyme ou abréviation de sens, par ses lettres : S : Sens de S en SUMUS. S est un simple brin qui va vers l’avant et vers l’arrière. Il montre une volonté d’explorer. Les extrémités pointées vers l’avant et vers l’arrière montrent une nature contradictoire avec elle-même et un degré de perplexité.
U : Sens de U en SUMUS. Lettre U montre des regards inversés comme la lettre N en minuscule. Ses extrémités projettent vers le haut pour indiquer la créativité, l’idéalisme, le talent et le céleste. Il est réceptif aux choses qui tombent dans sa demeure. Il est bienveillant et compatissant aux personnes qui éprouvent des échecs ou tragédie.
M : Sens de M en SUMUS. Alors que M se trouve sur deux points, il a trois projections pointant vers le bas. M est gracieux, stable et capricieux. M pourrait également être écrasant avec une grande force de caractère et une force d’esprit.